Le Concept de Carrière : Un Aperçu
By Driss Elmouden
1. Introduction : Que signifie vraiment « carrière » ?
Une carrière dépasse largement la simple succession d'emplois ; il s'agit d'une construction multifacette qui entrelace progression temporelle, relations interpersonnelles et objectifs aspirationnels. Dans le langage courant, elle désigne l'accumulation d'expériences professionnelles au fil de la vie, évoquant souvent des images d'avancement régulier et de mobilité ascendante au sein des hiérarchies organisationnelles. Néanmoins, les critiques académiques contestent cette vision en soulignant la « mort » des carrières traditionnelles, survenue au cœur de la restructuration des organisations et de l'incertitude économique depuis la fin des années 1980 [1]. Cela a favorisé l'émergence de « nouveaux accords » en matière d'emploi, nécessitant des définitions plus amples pour concilier les capacités des organisations et l'autogestion individuelle [1]. La tension entre stabilité et fluidité reste centrale : les premières définitions insistaient sur une progression logique, tandis que les perspectives contemporaines mettent l'accent sur l'adaptabilité face aux turbulences [1]. Par exemple, sans liens logiques dans le temps, le « voyage » de la carrière perd son sens, se muant en un itinéraire doté de direction et de finalité [1]. Cette évolution reflète les transformations sociétales, où les carrières consistent désormais à naviguer dans les bouleversements économiques grâce à la croissance personnelle et à la flexibilité. Les définitions doivent équilibrer les réalités organisationnelles et les aspirations individuelles, positionnant les carrières comme des ponts dynamiques reliant expériences passées, actions présentes et possibilités futures [1]. En 2025, ce concept s'est encore enrichi avec l'intelligence artificielle qui remodèle les secteurs, rendant les carrières plus fluides et axées sur les compétences. Selon le Rapport sur l'avenir des emplois 2025, les rôles de première ligne, tels que les ouvriers agricoles, les chauffeurs-livreurs et les ouvriers du bâtiment, devraient connaître la plus forte croissance en termes absolus, tandis que l'apprentissage tout au long de la vie s'avère essentiel pour l'adaptabilité.
2. Comment les idées sur la carrière ont-elles évolué au fil du temps ?
a. Idées traditionnelles : échelles et loyauté envers l'entreprise
Historiquement, les carrières étaient assimilées à des parcours hiérarchiques structurés, notamment dans les rôles managériaux, impliquant une augmentation progressive de la responsabilité et de l'ancienneté [1]. Les organisations considéraient les diplômés comme un «vivier » pour le leadership futur, reliant le recrutement à des stratégies de succession à long terme [1]. L'École de sociologie de Chicago a élargi cette perspective en utilisant le terme «carrière » comme outil heuristique pour analyser les trajectoires de vie dans divers contextes, y compris l'écologie sociale, l'urbanisation et la déviance [1]. Cette approche mettait en lumière les dimensions situationnelles, relationnelles et chronologiques, démontrant comment les carrières ordonnent les rôles dans des environnements spécifiques pour préserver l'ordre social [1]. Les carrières étaient perçues comme des mécanismes ancrés dans les normes culturelles, mais les critiques pointent leur élitisme et leur exclusivité, où la progression n'est pas aléatoire mais façonnée par les contextes historiques [1]. Par exemple, les sociologues les décrivent comme des rôles sociaux qui se déploient, indiquant la mobilité ou contribuant à l'ordre social [1]. En 2025, ces échelles traditionnelles cèdent la place à des parcours intégrant l'IA, avec des tendances comme les portefeuilles de carrière basés sur la blockchain, permettant un suivi vérifiable des compétences pour une progression non linéaire.
b. Vues de différents domaines : sociologie, psychologie et au-delà
Les perspectives disciplinaires offrent des angles variés : les sociologues perçoivent les carrières comme des rôles sociaux préservant l'ordre ou des indicateurs de mobilité [1], tandis que les psychologues les voient comme des appariements entre personnalité et emploi pour un bénéfice mutuel, des vecteurs d'autoréalisation ou des composantes des structures de vie [1]. À partir des années 1970, la théorie de la carrière s'est affirmée comme un champ autonome, axé sur la gestion, les systèmes de ressources humaines et les négociations entre individus et organisations [1]. Les années 1980 ont vu émerger des approches multidisciplinaires, traitant des carrières féminines, des conflits entre vie professionnelle et familiale, des défis des couples à double carrière, des transitions, des restructurations et des paradoxes comme l'engagement face à l'érosion de la loyauté [1]. Des thèmes récurrents persistent : le concept de soi et l'estime de soi, les rôles organisationnels, les besoins mal assortis, les processus interactifs, les influences socio-économiques externes et la dimension temporelle [1]. L'accent s'est déplacé de l'adéquation individuelle dans les disciplines initiales vers des relations dynamiques dans les théories récentes, reflétant des mouvements culturels comme le féminisme [1]. En 2025, ces vues interdisciplinaires intègrent l'IA et le télétravail, avec des compétences transversales comme l'adaptabilité qui gagnent en importance dans le développement professionnel.
3. Comment les entreprises perçoivent-elles les carrières ?
a. Avantages et mécanismes pour les entreprises
Les organisations exploitent les carrières à des fins stratégiques, comme la planification de la succession et le développement des talents, en concevant des parcours permettant aux profils à haut potentiel d'acquérir les compétences nécessaires pour des postes avancés [1]. Cela opère comme une négociation implicite via le contrat psychologique, favorisant la loyauté grâce à des avantages encourageant un engagement durable [1]. Les carrières « accrochent » les employés en alignant leurs ambitions sur les objectifs de l'entreprise, mais elles présupposent des environnements stables, désormais perturbés [1]. En 2025, ces avantages incluent une personnalisation pilotée par l'IA, améliorant la rétention dans des structures flexibles.
b. Changements dans les structures organisationnelles
Les évolutions contemporaines marquent la fin des carrières à vie, avec un discours orienté vers l'employabilité et la valorisation sur le marché [1]. La planification de la succession paraît dépassée, car la progression se détache des hiérarchies, privilégiant des CV enrichis par des mouvements verticaux ou latéraux, de la flexibilité et des interruptions pour développement [1]. Les structures ont transité de la sécurité bureaucratique vers l'incertitude des réductions d'effectifs, idéalement vers des modèles plats et axés sur l'apprentissage, générant des carrières en réseau ou cellulaires [3]. Pourtant, de nombreuses entreprises conservent des hiérarchies pour leur personnel clé, avec des débats sur les déséquilibres de pouvoir dans les contrats [3]. Les nouveaux discours insistent sur des transactions mutuelles plutôt que sur des liens à long terme [1]. En 2025, des tendances comme la mobilité interne et les parcours fondés sur les compétences prédominent.
4. Perspectives personnelles : significations et auto-construction
a. Significations personnelles et aspirations
Sur le plan individuel, les carrières répondent à des besoins économiques, confèrent un statut ou incarnent des rêves de vie – des itinéraires intentionnels avec des liens logiques dans le temps [1]. Les valeurs guident les choix, selon des modèles soulignant l'autoréalisation, les relations, les récompenses et le statut [5]. Les conceptions d'égalité visent à niveler les terrains de jeu ou à garantir la non-discrimination [6]. Des approches économiques (accumulation de capital humain) aux politiques (maximisation de l'influence) [1]. En 2025, les aspirations se centrent sur l'équilibre vie professionnelle-personnelle et le sens, la génération Z priorisant la croissance dans des secteurs durables.
b. Auto-construction par le travail
Le travail forge l'identité à travers les compétences, les relations et la reconnaissance, mais des conditions défavorables peuvent engendrer un sentiment d'impuissance [4]. Les carrières appartiennent aux individus comme des véhicules d'autoréalisation tout au long de la vie, évoluant dans le temps [1]. Une reformulation évite de miner l'estime de soi ; les règles ont changé, sans que les carrières ne disparaissent [1]. En 2025, l'accent est mis sur la santé mentale dans cette auto-construction.
5. Changements et défis dans le paysage de la carrière
a. Bouleversements économiques et environnementaux
Les perturbations depuis les années 1980 – globalisation, automatisation – ont engendré la précarité, imposant la flexibilité [3]. Les évolutions démographiques ouvrent la voie à des carrières multiples [4]. Les crises mondiales menacent l'humanité, appelant à des pratiques durables [4]. L'Agenda 2030 de l'ONU cible l'éradication de la pauvreté et la protection de la planète [4]. En 2025, l'IA polarise les emplois, avec 92 millions de postes déplacés et 170 millions créés d'ici 2030, soit une augmentation nette de 78 millions. knowledgecity.com. (The Challenges of Engaging Today's Modern Workforce – KnowledgeCity)
b. Lignes de fracture et discontinuités
Les perturbations comme la dérégulation sapent la planification, en soulignant l'employabilité [3]. Les crises environnementales exigent de la responsabilité, avec des emplois verts dans les secteurs durables [4].
c. Réponses théoriques aux crises
Les cadres théoriques contemporains se focalisent souvent sur le capital humain, dépeignant les individus comme des agents stratégiques gérant activement leur mobilité professionnelle. Ces modèles insistent sur l'optimisation des compétences, l'adaptabilité et l'investissement personnel, concevant les trajectoires de carrière comme des choix rationnels dans des marchés du travail dynamiques. Cependant, une analyse approfondie révèle que la promesse d'autonomie – au cœur de nombreuses narrations sur le capital humain – déçoit souvent. Isolée des structures collectives, l'autonomie peut mener à la désillusion. Une agence authentique exige plus que la liberté individuelle ; elle nécessite des environnements de travail démocratiques où la participation est réelle, non symbolique. Cela inclut des décisions partagées, la reconnaissance de contributions variées et des mécanismes de gouvernance inclusifs. Dans cette optique, les interventions politiques et organisationnelles doivent transcender les mesures d'efficacité. Elles devraient promouvoir des conditions de travail humaines, défendre les droits des travailleurs et favoriser des contributions durables alignant le développement personnel sur le bien-être collectif. Cela implique de repenser le travail non seulement comme un lieu de productivité, mais comme un espace de dignité, d'engagement relationnel et de valeur sociétale à long terme. En 2025, les réponses à ces défis intègrent de plus en plus des programmes d'amélioration des compétences pilotés par l'IA, visant à doter les travailleurs de compétences numériques tout en posant des questions cruciales sur l'équité, l'accès et l'intégration éthique de la technologie dans des systèmes centrés sur l'humain.
6. Cadres théoriques et interventions
Carrières objectives vs. subjectives
Dans la théorie des carrières, la distinction entre carrières objectives et subjectives met en lumière deux dimensions complémentaires mais distinctes du parcours professionnel. Les carrières objectives se réfèrent aux aspects externes et observables, tels que les séquences de postes occupés, les promotions hiérarchiques, les augmentations salariales et les indicateurs de mobilité sociale, souvent mesurés par des critères tangibles comme le statut, l'autorité ou le revenu, comme le soulignent des études sur le succès professionnel objectif [1]. Ces éléments sont influencés par des facteurs structurels, organisationnels et socio-économiques, et correspondent aux visions traditionnelles des carrières comme des progressions linéaires au sein des hiérarchies, telles que décrites dans les travaux sur les trajectoires managériales et la planification de succession [2]. À l'opposé, les carrières subjectives sont centrées sur les perceptions internes de l'individu, incluant la satisfaction personnelle, le sentiment d'accomplissement, l'autoréalisation et le sens accordé au travail, souvent modelés par des facteurs psychologiques comme l'estime de soi, les aspirations et les expériences relationnelles [3]. Ces dimensions subjectives, mises en évidence par des approches psychologiques et multidisciplinaires, soulignent comment les carrières servent de véhicules pour la croissance individuelle et l'identité, même en l'absence de marqueurs objectifs de succès [4]. Bien que les deux s'entrecroisent dans la réalité vécue – par exemple, une promotion objective peut booster la satisfaction subjective –, des recherches montrent que les prédicteurs diffèrent : les soutiens organisationnels influencent davantage le succès subjectif, tandis que les traits individuels stables impactent les deux [5]. Dans un contexte de turbulences économiques et technologiques, comme l'émergence de l'informationalisme, cette dualité invite à repenser les carrières pour équilibrer avancées externes et bien-être interne, favorisant ainsi des trajectoires plus inclusives et durables [6].
a. Interventions en conception de carrière
L'aide à la conception de vie dépasse l'orientation traditionnelle, vers des outils holistiques pour des existences autodirigées dans une modernité fluide [4]. Les programmes exploitent des cycles comme le CASVE : Communication (identifier les écarts), Analyse (causes), Synthèse (options), Valorisation (valeur), Exécution (mise en œuvre) – avec une pensée positive pour vaincre les obstacles. La Théorie sociale cognitive de la carrière (SCCT) soutient les groupes vulnérables en renforçant la confiance en soi, l'agence et les interactions personne-environnement [7]. En 2025 : apprentissage personnalisé via l'IA.
b. Éthique et développement durable
L'Agenda 2030 de l'ONU lutte contre la pauvreté pour la dignité et préserve les ressources pour l'équilibre [4]. L'éthique aspire à des vies épanouies dans des institutions justes, garantissant la durabilité humaine [4].
7. L'avenir de la carrière : implications et pouvoir rhétorique
Les carrières relient les individus aux marchés, stabilisant des idées comme la méritocratie – mais excluent souvent les rôles non élitistes ou certains groupes [3]. Les bureaucraties motivent par des échelles, mais les plateaux révèlent des illusions [3]. L'avenir interroge la pertinence face à la technologie, aux pertes d'emplois et aux récits fragmentés [3]. Les disciplines co-construisent les carrières, avec des disruptions menant au travail par projets [3]. Des appels plaident pour des redéfinitions inclusives afin de gérer le changement et d'orienter la vie quotidienne [3]. Redéfinir pour un bénéfice mutuel dans de nouvelles réalités [1]. En 2025 : concepts radicaux comme la métamorphose par l'IA, les sabbatiques, avec les métiers à plus forte croissance incluant les techniciens d'éoliennes, les installateurs solaires, les infirmiers praticiens et les scientifiques de données.
8. Conclusion : réaffirmer et redéfinir la carrière
Les carrières persistent mais s'adaptent, appelant à des redéfinitions pour des bénéfices, la durabilité et le choix dans un monde globalisé [1][3][4]. Des échelles à la fluidité, favorisez une aide éthique pour un travail décent partout, avec des recherches sur des intégrations humaines dans des mondes divers et sujets aux crises. En 2025, un appel à l'autonomisation des travailleurs, aux modèles hybrides, dans un marché en refroidissement marqué par la hausse des emplois contractuels et la transparence salariale.
9. Bibliographie
[1] Adamson et al. (1998). New Deals in Employment.
[2] The future of career (2000). Cambridge University Press or equivalent.
[3] Various authors in The future of career (2000), including Castells, Sennett, etc.
[4] Interventions in Career Design and Education: Transformation for Sustainable Development and Decent Work (2018).
[5] Dorot et Davidovitch (2023).
[6] Roemer (1998). Equality of Opportunity.
[7] Patton et McMahon (2001). Career Development Programs.
